Christophe Simon aime Brassens! ( et moi aussi ) 

Rencontre musicale à Hanret ( Belgique ) 

Que fait le bon vieux Georges, pipe allumée et regard bienveillant, à proximité d'un chasseur de primes antique? A Sparte, de surcroît, cité militariste s'il en est?

Si Brassens évoque rapidement la cité lacédémonienne dans une chanson ( "je sais que les guerriers de Sparte plantaient pas leurs épées dans l'eau" ) c'est pour déclarer qu'" à l'encontre du vieil Homère" c'est bien "la guerre de quatorz' dix-huit" qu'il préfère. Non, décidément, a priori, Brasssens n'a rien à faire ici...

Explications. 

Festival d'Hanret, 17 mai 2015. 

Parmi les BD que je compte faire dédicacer figure le tome 2 de Sparte, Ignorer toujours la douleur ( dessins Christophe Simon, Scénario Patrick Weber, couleurs Alexandre Carpentier

Christophe et Alexandre sont présents l'après-midi, et je garde un excellent souvenir d'Arbre 2014, où je les ai rencontrés, même si nous avions peu discuté à l'époque. J'y avais récupéré une dédicace sur le tome 1, qui figure parmi les plus belles que je possède ( On peut voir la plupart de mes dédicaces ici

J'opte pour un dessin de Diodore, héros de la série. Mais à peine Christophe a-t-il débuté, que je vois un portrait de Nabis, tyran de Sparte ( personnage historique, au pouvoir de -205 à -192 )  qu'Alexandre colorie et demande à changer. 

IL est trop tard, et je le sais bien. 

"C'est emmerdant un bédéphile", conclut quelqu'un, et j'ajoute " pis que cela, comme les femmes selon Claudel qui peuvent être emmerdantes, emmerdeuses et emmerderesses"

Christophe Simon, qui continue à dessiner Diodore entonnne alors à ma grande surprise un long passage de Mysogynie à part


"Ell' m'emmerde, ell' m'emmerde, à la fornication

Ell' s'emmerde, ell' s'emmerde avec ostentation,

Ell’ s'emmerde, vous dis-je.

Au lieu de s'écrier : "Encor ! hardi ! hardi ! "

Ell' déclame du Claudel, du Claudel, j'ai bien dit,

Alors ça, ça me fige.

Ell' m'emmerde, ell' m'emmerd', j'admets que ce Claudel

Soit un homm' de génie, un poète immortel,

J' reconnais son prestige,

Mais qu'on aille chercher dedans son oeuvre pie 

Un aphrodisiaque, non, ça, c'est d’ l'utopie !"


L'évocation de Claudel dans l'extrait me fait réaliser ma bourde, que je corrige, la citation est de Paul Valéry, autre poète qu'afffectionne Brassens - et Sétois comme lui

Il n'en faut pas moins pour que la discussion quitte le domaine de la BD pour celui de la chanson. Christophe et moi affectionnons le Bistrot, que nous entonnnons donc de conserve, sous l'oeil amusé de Béatrice Tillier qui dédicace à quelques mètres, manifestement ravie de l'intermède. 

Nos deux auteurs et Naser, lévrier russe [ (c) moi ]
Nos deux auteurs et Naser, lévrier russe [ (c) moi ]

Un Léonidas peut cacher un Léo...

Et du coup, à évoquer certaines références communes, j'ai appris qu'à l'instar de nombreux autres dessinateurs ( Hergé au premier chef, qui se dessinait lui-même ou EP Jacobs.... ) Christophe Simon a glissé quelques personnalités dans ses productions. 

En Belgique, Léonidas c'est avant tout le chocolat, en hommage à un roi, mais pas belge . 

Car à Sparte, s'il est un roi célèbre, c'est bien Léonidas, héros malheureux au Vème siècle avant notre ère, de la bataille des Termopyles. Roi immortalisé dans la peinture néoclassique par David ( Léonidas aux Thermopyles )  dans la bande dessinée ( le célébrissime 300 de Franck Miller)  et le  cinéma (adaption du comics sous ce même titre de 300 par Zack Snyder en 2006 ) 

Un oracle delphique avait annoncé qu'un roi de Sparte périrait ou que la cité tomberait. Or jamais un roi de Sparte n'était mort au combat. La résistance héroïque du souverain agiade(*) à la tête d'une petite armée de 300 soldats spartiates, et des troupes auxiliaires d'ilotes, a permis de ralentir l'armée perse, sauvant ainsi non seulement Sparte mais toute la Grèce.  Celle-ci sortira gagnante de la seconde  Guerre médique après les victoires navale de Salamine ( 480 ) et terrestre de Platées (479). 

Mais dans le Sparte du IIème siècle avant notre ère évoqué par Weber et Simon, c'est un Léo bien plus contemporain que l'on voit apparaître avec ce buste

"Oùte theos, oùte ploiarkos" que l'on peut traduire bien évidemment par "ni dieu ni maître", compromis entre grec classique et moderne, censé satisfaire tout un chacun au risque de fâcher tout le monde

( Sparte tome 3, planche 28 ) Anachronisme?

A peine... Anarchie est bien un mot grec!

Le "ni dieu" est plus délicat, à Sparte comme ailleurs en Grèce. ( Socrate fut condamné pour impiété) 

Lukianos Bowie? 

Léonidas, c'est justement un des prénoms que porte cet étrange personnage qui a levé le masque depuis le premier album. Lukianos, Léonidas, Ulysse, Ménélas... pour l'heure sa vraie identité n'est pas connnue.  On notera que la ressemblance est poussée jusqu'à cet oeil gauche plus foncé que le droit. 

A gauche, le personnage de Lukianos/Léonidas/ Ulysse/Ménélas par C Simon ( Sparte tome 2, planche 17, 1ère appparition planche 14 ) 

A droite, est-il besoin de présenter David Bowie? 

Brassens et Renaud discrets

Mêrme en sachant qu'ils étaient présents, et dans quels tomes de surcroït, j'ai eu du mal à les trouver. Pour Brassens, cela relevait du défi pour Simon, puisque les Grecs arboraient rarement la seule moustache selon l'iconographie classique. Comment placer une moustache gauloise en pleine Sparte? 

En la faisant si discrète qu'on la discerne à peine...

A gauche Sparte tome 1, planche 44, à droite Sparte tome 2 planche 15.

Et la série dans tout ça? 

Elle mériterait plus qu'une fin d'article! 

Concernant le tome 1, je m'inscris une nouvelle fois en faux avec la critique de bedetheque.com. J'achèterai le tome 4 dès sa sortie ( ou peu de temps après si je vois Chritophe Simon parmi les invités d'un festival ) 

Je suis toujours surpris de voir des critiques de BD être capable de dire si telle ou telle époque est bien restituée. Pour une fois, je pourrais donner un avis plus autorisé qu'à l'accoutumée.

Professeur d'histoire, ça ne veut pas dire grand chose, et l'on n'est pas historien pour autant. Et sans prétendre à ce titre, je me targue toutefois de mieux connaître la Grèce antique que beaucoup de mes  collègues, pour posséder une licence en  histoire ancienne. Mon mémoire de maîtrise portait d'ailleurs sur... Sparte, en l'occurrence sur Pausanias, qui en fut le régent au Vème s. Mais nous sommes ici au IIème siècle avant notre ère, et Sparte a bien changé. Malgré un choix un peu facile de prénoms ( Hélène, Hector Diodore, Agésilas, Xénon  - sans compter les noms d'emprunt de Lukianos - il n' ya guère que de grands noms, ne manque que périclès et Cléopâtre ) l'atmosphère de décadence est bien rendue tant par l'intrigue que le trait.

La série monte en puissannce dans les tomes 2 et 3, même si ( je ne peux pas être en désaccord total total avec les chroniqueurs de bedetheque ) certaines ficelles m'ont semblé un peu grosses. 

A lire, parce que c'est, sur la Grèce un des ouvrages les plus sérieux qui aient été produits en bande dessinée, sans les errements fantastico-ésotériques que l'on rencontre trop souvent, et parce que le dessin de Simon, certes acdémique, évite les nombreux travers ( corps ultra-musclés, sensualisme facile, j'en passe et des pires ) qui émaillent les productions actuelles.

(*) Sparte a longtemps eu deux rois, issu de deux familles, les Agiades et les Euripontydes. 


( par Le Bédéphile déchaîné )

Mes propos n'engagent que moi, peuvent être repris, même en intégralité. Je dis juste ça parce que ça me fait marrer ceux qui précisent toujours des trucs du genre "cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation."