Il y a urgence à parler de ce bouquin, véritable petite mine ( en parlant et de BD et de Première Guerre, ça s'impose ) d'images, d'anecdotes, et de remarques pertinentes. mais qui va prendre un coup de vieux.

Urgence, car l'année 2014 va voir fleurir, c'est certain, les publications en lien avec la Grande Guerre. Et la BD ne fera pas exception.

C'est d'ailleurs d'ores-et-déjà le thème retenu pour le festival Euro Bd de Lexy. dont on connaît les dates ( 14 et 15 novembre 2014 ) l'affiche - elle est signée Hector - mais pas l'invité d'honneur.

Urgence car de nombreuses parutions, et assez remarquables pour certaines, et qui évoquent le premier conflit mondial, ont vu le jour depuis la publication de ce petit essai en 2008:

- les 4 complaintes de Notre Mère la Guerre par Maël et Kris

- deux des trois périodes de Mattéo par Gibrat

- les 2 tomes de Putain de Guerre par l'incontournable Tardi 

- 2 tomes encore pour les Godillots de Olier et Marko

- 2 tomes toujours pour Silas Corey ( Nury et Alary )

- 4 opus pour l'Ambulance 13 ( Cothias, Ordas, Mounier )

- 2 volumes pour un long destin de sang par Bollée et Bedouel

- un one shot, les folies Bergère ( Zidrou et Porcel )

 La liste n'est sûrement pas exhaustive  (je n'ai d'ailleurs pas lu les ouvrages cités après les trois derniers tirets ) mais on peut rajouter certains tels la balade de Magdalena par Dubois ( chronique à venir ici-même dans les jours qui viennent )  qui sans évoquer l'horreur des combats ont la guerre pour  trame de fond.

Rassurons-nous, une grande partie de la réflexion va demeurer valable. L'esai se termine par un sentence synthétique: "Forton et ses collègues faisaient la guerre au "boche". Tardi, comme la plupart des auteurs actuels, fait la guerre à la guerre." 

La Première Guerre mondiale vit renaître la censure, n'empêchant pas, paradoxalement, l'éclosion de journaux de tranchées. 

Mais à l'époque où les albums de bande dessinées n'existent quasiment pas sous leur forme actuelle, c'est surtout dans la presse, soit les journaux soit les illustrés, que le dessin, voire la bande dessinée, se développe.

Les Pieds Nickelés sont ainsi publiés dans l'Epatant à partir de 1908 avant que les premiers albums ne voient le jour en 1915. Si les 4 premiers retracent les aventures antérieures de nos trois compères, les numéros 5 et 6 donnent le ton, s'intitulant explicitement: les Pieds nickelés à la guerre. 

A l'époque Forton ( les Pieds Nickelés ) et Pinchon ( Bécassine ) sont mobilisés sur le front: ils sont donc doublement acteurs de la guerre:

- acteurs parce que soldats ( Forton, ironie du sort, est mobilisé en Orient, et ses récits trahissent une méconnaissance totale du combat de tranchées en Occident )

- acteurs parce qu'impliquant leurs personnages: les pieds Nickelés oublient leur anticonformisme. En France c'est l'union Sacrée. " Les aminches, nous sommes Français avant tout. Il n'y a donc pas à hésiter. Du moment qu'il s'agit de taper sur des boches nous sommmes là". Bécassine mobilisée, Bécassine pendant la Grande Guerre, Bécassine chez les Alliés témoignent de l'implication de l'héroïne dans le conflit: "Mes filleuls, que j'ai fait, c'est toute l'armée française, vu que j'aime tous les soldats français." 

S'ensuit alors un long silence pendant lequel Grande Guerre et bande dessinée cheminent séparément  ( un seul album entre 1919 et 1949 ) avant que les années 70 ne modifient la donnne. 

La BD devient adulte - dans le sens noble du terme, il y avait déjà avant des publications interdites aux mineurs. Et le Premier conflit mondial n'est plus sujet tabou.

Les scénaristes et dessinateurs ne sont certes pas devenus des historiens (*) Tardi le premier en convient. Mais que cela soit par antimilarisme ( Cabu ) ou par goût pour la période  ( Tardi, donc ) certains auteurs nous livrent une vision de la guerre, inspirée par leur vécu familial et, du moins je l'espère, les enseignants.

Beaucoup, Tardi, encore et toujours, Mael et Kris, Gibrat, Giroud évoquent ainsi l'horreur des combats. Ils participent ainsi, à leur manière, à un débat historiographique qui agite la recherche historique. Comment les soldats ont-ils supporté cinq années de combats et de barbarie? Y avait-il un consentement implicite, dérivé du patriotisme et de la haine de l'ennemi, attisé par l'esprit de vengeance (école du Centre de Recherche de l'Historial de la Grande Guerre de Péronne) ou la contrainte explique-t-elle principalement cette soumission  (Collectif International de Recherche et de Débat)

La manière dont les bédéastes nous livrent leur vision de la guerre traduit assurément lévolution d'une société par rapport à un conflit majeur. L'enseignement de l'entre-deux-Guerres insistait beaucoup sur les généraux, et faisait du poilu un héros. Les programmes actuels, sans dénier l'héroïsme du combattant mettent en avant les souffrances des combattants et de ceux de l'arrière, et n'hésitent pas à faire appel à la BD comme vecteur pédagogique. 

"La guerre de 1914 n'appartient aux personnes, pas même aux historiens" écrivent ainsi les historiens Antoine Prost et Jay Winter dans Penser la Grande Guerre. 

C'est dire si la bande dessinée, en tant qu'art, est légitime à offrir sa perception.

( par Le Bédéphile déchaîné )

Mes propos n'engagent que moi, peuvent être repris, même en intégralité. Je dis juste ça parce que ça me fait marrer ceux qui précisent toujours des trucs du genre "cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation."